Electronic
Raise the pressure

D'abord, le titre rebute. "Faites monter la pression", d'accord mais laquelle ? On ne voit guère que la tension artérielle d'antiques fans de Joy Division dont l'espérance de vie aura diminué d'au moins dix ans à la dernière note de Visit me et en effet, qui se soucie vraiment du second volet des aventures de Barney et Johnny perdus en pleines terres des Ace of Base, le dance-floor grouillant de coiffeuses et d'apprentis charcutiers du Paradise, Thonon-les-Bains ? Dégoulinant de défauts honteux, on défendra cette petite chose dont la gestation aura, mine de rien, été deux fois plus longue qu'un éléphanteau. Passés les choeurs immondes (genre "groove-moi, je suis chaude"), les ficelles mélodiques éculées (vilaines resucées fadasses de Shame of the nation et Weirdo), les synthés préhistoriques chbouing chbouing, les escapades ligne-claire plates comme un banc de limandes sous un Berliet, la stupidité des paroles ("Il est temps de fêter notre amour, notre amour"), la production quasi-inexistante qui ferait passer Corona pour une pouliche de Phil Spector, les tempos lents proprement ignobles, passé tout cela, reste une vraie chanson comme on en fait plus, One day, avec un Johnny Marr très en forme, enfin, plutôt pertinent, et aussi trois ou quatre bombinettes disco putassières et jouissives, de la chair à déhanchements comme on n'ose plus en faire de ce côté-ci du bon goût. Electronic se maintient donc comme un avatar mièvre de deux des plus grands groupes de notre jeunesse défunte, mais il le fait avec un tel panache que l'on se prend à remuer du pétard en soupirant.

Christophe Despaux


Dead Can Dance
Spiritchaser

Il existe quelques rares groupes dont il est devenu quasiment impossible de parler sans tomber dans le cliché, tant leur musique est au-delà des mots... Dead Can Dance est de ceux-là. À leur sujet, les termes de "cold wave", "médiéval", "religieux", "ethnique", "world music" ont été utilisés, ne parvenant jamais à définir une musique au-delà de toute étiquette, puisant sa force et sa beauté dans un amalgame de toutes ces influences, bâtissant au fil d'albums tous différents une oeuvre incroyablement riche, au style reconnaissable entre tous. Cela fait donc longtemps que l'on ne redoute plus la sortie d'un nouvel album de Dead Can Dance, mais qu'on l'attend plutôt avec la certitude d'y trouver tout ce que l'on aime chez eux, rehaussé d'une dimension supplémentaire. Pourtant, aujourd'hui, "Spiritchaser" nous déçoit... Même au terme d'écoutes intensives, peu de choses parviennent à s'en dégager, si ce n'est une légère sensation de monotonie, un certain manque de relief... Alors que tout laissait présager une orientation "world", un mélange d'acoustique solennelle et de percussions travaillées, une instrumentation surprenante au service de mélodies toujours aussi tristes et belles, c'est en réalité des relents seventies qui émanent de ce disque aux influences principalement africaines. La variété cède la place à l'uniformité, la plupart des morceaux semblant construits sur le même rythme, presque tous sagement chantés à deux voix, s'étalant entre cinq et dix minutes et nous perdant dans les méandres de compositions souvent floues. Quelques beaux moments se dégagent tout de même : Nierika, qui ouvre l'album de façon convaincante (utilisant des sons assez novateurs), Indus, avec son synthé très "cold" et The snake and the moon, qui réveille l'auditeur avant l'épilogue. À l'arrivée, le bilan est donc plutôt mitigé, et malgré l'admiration que l'on peut porter à Dead Can Dance (ou à cause d'elle), l'on considérera "Spiritchaser" comme l'album moyen d'un grand groupe, léger faux pas dans une discographie jusqu'alors exemplaire.

Christophe Lorentz


Magnapop
Rubbing doesn't help

Groupe discret, Magnapop fait son petit bonhomme de chemin avec sa popcore jamais trop bubblegum, jamais trop rêche non plus. Après le renfort de Michael Stipe et de Bob Mould venus produire les deux précédents albums, cette fois-ci c'est Geza X, l'ancien pilier des Dead Kennedys et des Germs, qui s'est mis à la tâche sur "Rubbing doesn't help". Moins rude finalement, le troisième album de Magnapop ne baigne heureusement pas dans le revival punk, ce que pouvait laisser présager la présence de Geza X. Au contraire même, "Rubbing doesn't help" dispense une pop certes noisy, mais beaucoup plus douce en regard de ce que peut chanter Linda Hopper. Et si la drogue, la disparition et les galères laissent effectivement un arrière-go&urcirc;t d'amertume aux chansons de Magnapop, l'on peut largement espérer que celles-ci puissent se frayer un petit chemin sur les ondes radios, car depuis la mort des Pixies et le silence des Breeders, Linda Hopper et les siens parviennent parfaitement à maîtriser cet art bridé de la pop song courte, efficace, énergique et toujours sucrée.

Quentin Groslier


Beck
O-de-lay

Après avoir sorti un album minimaliste et intimiste, puis un autre consacré et adulé par MTV, Beck-le-solitaire avait de quoi hésiter sur la marche à suivre. Finalement, il a opté pour la solution la plus complexe, celle de concilier les deux tendances. "O-de-lay" est un album construit, réfléchi, qui comporte non seulement des chansons acoustiques et d'autres aux lourds accents hip-hop, mais aussi des morceaux qui intègrent les deux subtilement. Le résultat est détonnant dès la première écoute et semble assurer que des titres comme Electric music in the summer people (qui ouvre l'album) ont le gabarit des grands succès mondiaux. Sa collaboration avec des spécialistes du hip-hop contribue aussi à donner du corps à des rythmes qui prennent une plus grande importance qu'auparavant. Ainsi, Beck a ici une belle occasion de démontrer ses talents multiples, allant de la country au sampling sauvage en passant par le jazz, et de prouver une nouvelle fois qu'il est décidément l'un des grands musiciens de la décennie.

Noémie Wyplosz


Planète Zen
-Terr...

S'il est une vertu que l'on peut accorder à Planète Zen, c'est bien la persévérance, et c'est certainement grâce à elle que cet album a pu voir le jour, quatre ans après son unique prédécesseur sorti en pleine vague noisy-pop. La première impression à l'écoute de "-Terr..." est rassurante : le groupe parisien n'était pas en hibernation pendant ce long entracte, et a donc eu tout loisir de digérer les évolutions successives de la musique pratiquée par ses contemporains. "-Terr..." n'est donc pas un Charlie the spacedriver bis. D'un autre côté, on n'a pas non plus l'impression de se retrouver face à un nouveau groupe, l'évolution s'est faite de façon naturelle et harmonieuse. Le Planète Zen "version 96" est caractéristique par trois de ses aspects les plus remarquables : un amour toujours fidèle pour les chansons pop simples et directes, où chaque instrument est dosé avec parcimonie dans un souci constant de légèreté et de clarté ; une voix qui a le mérite d'être atypique et dont le seul organe digne de comparaison est à chercher du côté de Laetitia Sadier (Stereolab), avec qui Muriel Bonfils partage un timbre monocorde et lancinant ; enfin, l'apparition de la technologie dans la trousse à outils du groupe, qui utilise divers samples, rythmes et autres babioles électroniques pour colmater les espaces entre chaque instrument et donner un relief différent à chaque morceau. La démarche est originale, expérimentale plus qu'opportuniste, et en ce sens, le résultat est tout à fait honorable. Ajoutez à cela quelques morceaux dont les mélodies finissent par vous trotter dans la tête (Deux, Digital) et vous obtenez, dans l'ordre chronologique des écoutes, un album tout d'abord frustrant, puis surprenant, respectable ensuite, et finalement très plaisant.

Éric Semenzin


The Cure
Wild mood swings

Il est toujours difficile d'appréhender un nouvel album de Cure. La durée qui le sépare de son prédécesseur rend pour eux comme pour nous le challenge particulièrement difficile : résoudre l'éternelle équation, perdurer sans lasser, surprendre sans décevoir. Et même s'il y a bien longtemps que cet exercice est maîtrisé par le groupe (en l'occurrence Robert Smith), les trois derniers albums brillaient par leur absence de prise de risque et frôlaient quasiment la monotonie."Wild mood swings" complète de façon attendu cette trilogie. Toujours pas d'avancée spectaculaire, simplement des morceaux "typiquement" Cure ; The 13th premier single au clip guignolesque qui mêle Caterpillar et Close to me, Want qui ouvre l'album comme au meilleur de "Wish", Mint car le futur tube, Club America et sa voix atypique...
Même si les habituelles polémiques autour du groupe ne cesseront jamais, même si l'abus de pédale wah-wah est dangereux pour la santé et même s'il est bien clair que cet album n'apporte rien de vraiment novateur et qu'on ne s'y serait pas forcément arrêté s'il avait été écrit par d'autres, savourons-le en prenant notre temps ; le suivant n'est sûrement pas prêt de sortir et celui-ci recèle suffisamment de bonnes choses pour s'y attarder.

Christophe Labussière


The Holy Barbarians
Cream

Depuis le virage rock du Cult en 1987, habitude a été prise de mettre à mort tout nouvel ouvrage du condamné Ian Astbury. L'album "Electric" fut en effet mal digéré par le public de la première heure et l'establishment européen de l'appréciation artistique. C'est pourtant ce disque qui reviendra en mémoire lors de l'écoute de "Cream". Inutile donc de chercher un quelconque retour aux sources à travers l'oeuvre naissante du nouveau groupe de l' "Indien".
Le dernier album du Cult avait surpris par son inspiration moderne. Ian Astbury n'avait donc plus le choix : le guitar-hero Billy Duffy ayant jeté l'éponge, il ne lui restait plus qu'à continuer sur sa lancée en solo. The Holy Barbarians, monté en compagnie d'illustres mais talentueux inconnus, confirme ce qui inquiète plus d'un puriste : Astbury puise de plus en plus dans le psychédélisme des années 70, et AC/DC ou Grateful Dead n'auraient certainement pas renié une part du contenu de "Cream".
1987 laisse planer quelques riffs ravageurs (Brother fights, Blind) tandis que 1994 y va de son grain de sel techno-rock (Dolly bird). Certes, Ian Astbury ne signe pas non plus l'oeuvre parfaite : son écriture tombe parfois dans l'inutilement longuet et le sirupeux (Cream, Magick Christian), mais évite l'écueil FM (on se rappellera du "Sonic temple", de triste mémoire...). Bref, l'inspiration semble ici avoir atteint certaines limites, mais le talent reste, lui, incontournable.

Manu Hennequin


The Eggman
First fruits

Généralement, les savants fous nous sont présentés avec la tignasse en friche et avec ce qu'il faut de pipettes et d'alambics pour se faire exploser le bulbe. Depuis peu, une nouvelle mode règne dans les laboratoires : la boule à zéro. Certains d'entre vous ont déjà pu faire l'expérience, on ne s'attardera pas ici sur le jeu, mais avouez que c'est pratique pour bien touiller ce qui reste de cervelet. Exit donc les nostalgiques du tif : Syd Barrett, Brian Wilson, Roky Erickson. Place désormais aux tondus : Bill Corgan, Ed Ball et celui dont il est question ici, Sice.
Quoi de plus naturel que de s'inventer des vacances. Sice, salarié chez les Boo Radleys, passe son temps comme il peut et traîne ses guêtres dans les Charity Shops, la pop en bandoulière contenant bubblegums, milk and cookies bon marché, d'où ces "First fruits" sirupeux, rythmés par cet apprenti Beach Boy qui rêve de surf et de plages dorées. Transpercé d'éclairs d'une beauté pure (That's that then, Out of my window), l'univers de Sice -rebaptisé "the Eggman" pour l'occasion- rappelle étrangement les goûters des Adventure Babies ou les bermudas de son cousin liverpudlien John Cunningham. Ce premier album s'avère toutefois particulièrement impressionnant. Et si, dans ce crâne d'oeuf, allaient germer les Nouvelles Fleurs du Mal ?... En vérité je vous le dis, la prochaine mode sera la coupe au bol.
Franck Bizouarn


:Wumpscut:
The mesner tracks

Avec ce CD, on assiste peut-être à une première : une compilation de morceaux jusqu'à présent uniquement disponibles sur des... compilations ! Quinze titres jusqu'alors disséminés de 1991 à 1995 sur différentes disques, plus un inédit, une face B, etc. "The Mesner tracks" aurait pu s'intituler "La Totale" tant son contenu semble exhaustif et surtout indispensable. Même si nos premiers contacts avec :Wumpscut: ne datent pas d'hier, l'on doit bien reconnaître que la quête de ces compilations s'apparentait à celle du Graal, et que "The Mesner tracks" nous évite beaucoup d'efforts et récompense notre attente.
Ce disque déborde de morceaux de haute facture, sur le modèle de Mother ou Ain't it mad yet. Et même si l'on sourit à plusieurs reprises de la simplicité des compositions et des textes, ce n'est que pour mieux s'étonner de la richesse de l'ensemble. L'électro sombre et perverse de :Wumpscut: sait en effet mêler cold wave et industriel, et même si le groupe n'est certainement pas le premier à s'atteler à cette hybridation et si sa méthode n'est pas non plus vraiment novatrice, le résultat est néanmoins plutôt réussi.

Christophe Labussière


Ruby
Salt Peter remixed

Une fois de plus, un disque à la fière allure vient nous prouver que le remix est aujourd'hui beaucoup plus qu'un simple remplissage de faces B destiné aux fans fébriles, mais bien un phénomène musical à part entière. Des groupes électro-dark teutons (:Wumpscut:, Project Pitchfork), aux technomen expérimentateurs (Moby), en passant par les métal-indus furieux (Die Krupps, Nine Inch Nails), et les fondus de l'ambient-techno-dub (Scorn, Dread Zone), chacun y va de son album de remixes... Et le pire est qu'ils font cela très bien ! Ce coup-ci, c'est donc l'épatante Ruby qui s'y colle, en relookant son magnifique "Salt Peter", l'un des meilleurs disques de l'année passée, de la cave au grenier (oubliant néanmoins la chambre Pine et repassant deux couches dans la cuisine Heidi). On visite ainsi une bâtisse fascinante, allant de surprise en surprise : un Flippin' tha bird à la basse foudroyante (par Ceasefire), un Salt water fish jungle à souhait (par Peshay, voisin de palier de Goldie), un Heidi acid-jazz / trip-hop (made in Primal Scream), un Paraffin faussement acoustique (from Red Snapper), ou un Swallow baby qui débute en friandise jazzy, tourne à la rave-party et s'achève en odyssée spaciale (le tout orchestré par Tim Brown des Boo Radleys)... De la belle ouvrage, inventive, hypnotique, lascive, envoûtante : presque aussi bien que l'album original lui-même ! Et si l'on ajoute que seulement deux de ces onze remixes ont déjà été édités auparavant sur des singles, cela laisse encore neuf bonnes raisons de courir se procurer l'objet afin de patienter intelligemment jusqu'au prochain album de la gironde Lesley Rankine (qui devrait hélas se faire un peu attendre).

Christophe Lorentz


Sister Iodine
Pause

Quoi de plus intéressant que de n'avoir aucune étiquette à coller lorsque l'on doit évoquer l'univers musical d'un groupe ? Toujours plus minutieusement recherchée, toujours plus soigneusement expérimentale et toujours très peu assortie de paroles, la musique de Sister Iodine reste unique, c'est bien là tout son intérêt.
Ce qui frappe au premier abord avec ce deuxième album, c'est qu'il se dévoile comme un tout uni et indissociable dont les morceaux s'enchaînent parfaitement. Au fil des écoutes, on y découvre une multitude de sonorités habilement dissimulées et une collection d'ambiances capricieuses, jouant constamment sur l'alternance silence / bruit : à peine prend-on le risque de se laisser envelopper d'une tiédeur amniotique que viennent s'y ajouter d'intenses secousses telluriques...
Le groupe n'utilise toujours pas de basse, raréfie le chant (courtes présences de voix sur Mass exposure et Truck loads), et s'éloigne totalement du carcan "rock" grâce à ses constructions musicales bricolées, où les sonorités sont très privilégiées. Comme à son habitude, il s'attache à déstructurer le rythme de ses compositions et approfondit son utilisation de vieux synthétiseurs, alliée au trafic de bruits divers (grésillements, piano lointain, moteurs) qui se dispersent au fil des compositions aussi délicatement que des bulles de champagne.
Alternative obligatoire au climat musical ambiant, Sister Iodine manipule les sons comme pour en extraire un langage introverti et si personnel qu'il rend sa musique inconvenante pour tout bon prêcheur de Sainte-Mère pop music... Alors peut-être, cette musique est-elle "difficile" (comme le dit la biographie du groupe), mais elle restera toujours abordable et propre à la réflexion à qui prendra le temps de l'écouter.

Carole Jay