Monaco
Music for pleasure

"Music for pleasure" : l'on ne pouvait trouver meilleur aphorisme pour résumer en trois mots vingt années parcourues avec cette seule et même idée fixe : le plaisir de jouer, coûte que coûte. Malgré les tempêtes essuyées ça et là tout au long d'une carrière idéale, Peter Hook -puisque c'est de lui dont il s'agit- n'aura jamais trahi ce leitmotiv. Que ce soit avec Joy Division ou avec New Order, Hookie le bienheureux s'est toujours imposé comme l'élément humain le plus perceptible du groupe. Tirant de sa légendaire six cordes un son unique et quelques accords redoutables, il s'est imposé au cours des années 80 comme un bassiste hors pair, survolant ses adversaires dans des exercices de style époustouflants.
Aujourd'hui, alors que Manchester semble désespérément en quête d'un second souffle et New Order condamné au silence, Peter Hook, contre vents et marées, reprend les armes. Là où Revenge n'était finalement qu'un vague groupe pour tuer l'ennui et retrouver les plaisirs de la scène, Monaco place la barre un tantinet plus haut. Car si "Music for pleasure" confirme les vertus de Peter, il révèle également son jeune complice, David Potts, hier guitariste intermittent pour Revenge, aujourd'hui co-auteur de ces dix titres bigarrés. En plus d'aligner des mélodies pop dont seul New Order avait le secret (What do you want from me ?, Sedona), Monaco se frotte avec bonheur aux sixties (Blue, Happy Jack), triture du trip-hop (Billy bones) et cherche des poux à Blue monday (Junk). Si les inspirations trop évidentes de David Potts peuvent en rebuter certains, l'ouverture d'esprit dont il fait preuve galvanise visiblement Peter Hook, que l'on n'attendait pas aussi frais et serein en marge de New Order. Un nouveau départ ?

Laurent Dubois


:Wumpscut:
Embryodead

Élu grand prophète de l'électro-indus dark par des armadas de cyber-goths, Rudy Ratzinger, alias :Wumpscut:, revient avec ce troisième album attendu comme le Messie. Ainsi, ceux qui regrettaient les constructions un peu lourdes et systématiques des précédents titres de :Wumpscut: seront rassurés par ce "Embryodead" nettement plus mélodique, varié et insidieux. Contrairement à l'inégal "Music for a slaughtering tribe", nous sommes ici face à un véritable album homogène, qui s'écoute d'une traite, même s'il se compose en gros de deux parties : les cinq premiers titres sont en effet des bombes de dancefloors, dansants et accrocheurs, tandis que les cinq morceaux suivants, plus lents et étouffants, mènent doucement le disque vers une conclusion malsaine et angoissante. Tel un maelström infernal, cet album dégraissé et direct nous projette dans un univers d'une noirceur absolue, où une voix quasi inhumaine fait corps avec des sons tantôt saturés tantôt incisifs, pour aliéner notre esprit et nous plonger dans la terreur. Attention, ce disque est dangereux !

Christophe Lorentz


Françoiz Breut
Françoiz Breut

Bertrand Betsch
La soupe à la grimace

Avec Dominique A, Jérôme Minière, et aujourd'hui Bertrand Betsch et Françoiz Breut, le label Lithium propose quelque chose qui commence à ressembler vraiment à une famille, presque un mouvement, une habitude jusqu'alors plutôt anglo-saxonne. Dans le rôle du gourou, Dominique A bien sûr, qui le premier réussit à réconcilier une partie du public rock avec la chanson française. Sur l'album qu'il a écrit et composé pour Françoiz Breut, il continue son exploration des sentiments humains, pas forcément des plus gais, et développe son écriture musicale minimaliste, notes éparses et fragiles qui supportent un filet de voix de même texture. Le rythme ne s'élève qu'en de rares occasions, d'où une première impression de linéarité -celle à laquelle nous ont habitués les albums des Tindersticks et que nous avons appris à surpasser, pour notre plus grand plaisir. Les mélodies finissent un jour ou l'autre par graver la mémoire et prennent alors toute leur grandeur, morceaux entêtants plus que réellement accrocheurs. Un très bel album.
À propos de gourous, et même si le mot est certainement trop fort, il est évident que la présence de Bertrand Betsch sur le même label que Dominique A n'est pas qu'une coïncidence et que le jeune homme a subi une influence très profonde. Quoi qu'il en soit, et malgré des similitudes de voix et d'arrangements, "La soupe à la grimace" est un magnifique premier album, "à la manière de" certes, mais pourtant bourré de personnalité. Bertrand Betsch est avant tout un grand auteur-compositeur, ce qu'il prouve ici en de multiples occasions (À l'ouverture des miroirs, La complainte du psycho-killer) et le jour où il aura définitivement coupé le cordon, il aura sa place parmi les grands.
Deux nouvelles bonnes surprises à mettre à l'actif du meilleur label français actuel, qui s'illustre une fois de plus par la pertinence et la cohérence de ses choix musicaux.

Éric Semenzin


Salad
Ice cream

Il y a des groupes auxquels on prédirait un avenir mirifique, auxquels on assurerait le succès et la reconnaissance du plus grand nombre. Et ce don de voyance, ces prémonitions sont rarement clairement justifiables. C'est souvent le moment qui rend le disque particulier, pas seulement les chansons qui le composent. On aurait bien pris les paris à la sortie du premier Garbage, on a préféré les mettre en couverture, on aurait aussi misé sur Pulp à l'époque de "Separations", il aura fallu attendre moult albums pour que le miracle se produise. Quant à Salad, les premières notes de Motorway to heaven ou Drink the elixir et le minois de la VJ la plus sympathique de MTV laissaient présager le meilleur pour leur premier album "Drink me". Au résultat, juste une belle série de tubes et une reconnaissance mitigée. C'est peut-être le moment qui manquait, car le reste était bel et bien là, mais Salad n'était pas encore de saison.
"Ice cream" arrivera-t-il au bon moment ? On ne le sait pas encore, mais tous les ingrédients sont encore là, fidèles et en pleine forme ; la voix de Marijne est parfaite, les mélodies sont exemplaires, tout fonctionne habilement du début à la fin de cet album riche et coloré. "Ice cream" est simplement irrésistible. Les éléments qui le constituent sont bien entendu les mêmes que pour son prédécesseur, mais la sauce prend ici plus vite encore. Marijne nous véhicule d'un bout à l'autre de ce disque plein de surprises, et des morceaux comme Yeah yeah, Cardboy king ou Written by a man soufflent d'un revers de guitare tout ce que l'on croyait inégalable sur l'album précédent. Vous pouvez vous précipiter sur cette crème glacée les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes. Quant à la carrière qu'il fera, finalement, on s'en moque.

Christophe Labussière


John Lydon
Psycho's path

Enfin ! "Enfin", car cela faisait rien moins que vingt ans que nous l'attendions, cet album. Le premier album solo de celui qui avait, en 1977, lancé un pavé dans la marre d'un rock décrépit. Bien sûr, il y avait eu ensuite Public Image Limited, mais le groupe, changeant trop souvent de personnel et d'orientation musicale, avait vu peu à peu l'amour de ses fans s'effilocher. Pourtant, pas un seul des albums de PIL n'était raté, l'on pourrait donc dire par défaut qu'ils étaient tous réussis. Mais il manquait l'expression d'un seul homme, celle de cette personnalité extrême qu'est John Lydon, qui s'éclipsait toujours un peu au profit de son groupe. Or, aujourd'hui, après un clin d'Ļil rigolard aux vieux Sex Pistols ventripotents, il peut avec fierté nous offrir son premier album solo, témoin de toutes les musiques qu'il a toujours vraiment affectionnées : la pop, celle à chanter, à remuer, la musique expérimentale, qui innove, cherche et essaie, celle des premiers PIL, celle d'une attitude qu'il aimait par exemple chez des gens comme Einstürzende Neubauten, et enfin la musique chaude, ensoleillée : reggae en 77, trip-hop et techno aujourd'hui. Le résultat ? Un disque d'une maturité étonnante, des morceaux qui surprennent à chaque note, émerveillent, et ne pourront que susciter l'admiration chez tous les amateurs du personnage. Attendez-vous à rien de déjà connu. Pensez à une musique à la fois sereine et perturbée, à la fois extatique et sournoise, à des textes toujours et encore sans aucune concession. En prime, cinq remixes en guise de clôture et attention, rien que des pointures aux manettes s'il vous plaît : Chemical Brothers, Moby, Leftfield, Danny Saber. Un génie, ce type.

Frédéric Thébault


Echo & the Bunnymen
Evergreen

Echo & the Bunnymen n'échapperont pas au demi-sourire de circonstance : comme tant d'autres dinosaures du rock -des Who à Supertramp aux Sex Pistols- ce fer de lance de nos années new-wave se la joue reformation -à l'exception de Pete de Freitas, excusé pour cause de décès. "Evergreen" sonne donc le retour d'âge, ce moment terrifiant où la rock-star prend conscience de la vraie formule qui fait, comme par magie, glisser les économies du fan vers son compte en banque renforcé ; juste (?) récompense d'un passé glorieux quoiqu'un rien éventé. Dix années déjà se sont écoulées depuis la fin en eau de boudin d'Echo : on peut rétrospectivement trouver un charme fragile à la carrière solo de Mc Culloch, mais impossible de sauver ces Bunnymen mercenaires de Pattinson et Sergeant ou l'infect Electrafixion. "Evergreen" est donc la nouvelle jeunesse ou plutôt son prolongement. La première écoute est franchement négative, comme si avait été tentée à tout prix une bouture d' "Ocean rain" adaptable aux auto-radios américains. Pourtant, "Evergreen" s'impose à la longue comme un album décent et même très réussi par endroits. Les solos proéminents de Sergeant -évocateurs de tant de guitar-heroes dont on n'a que faire- passent la rampe quand les morceaux sont taillés pour un déhanchement homéopathique (Altamont, I want to be there). Au moindre relâchement de l'écriture, ils sombrent corps et biens dans un océan d'ennui (Don't let it get you down). Le versant violon corseté est logé à la même enseigne. À l'exception notable de Just a touch away, digne d'une face B période "Ocean rain", les tentatives de combustion du phénix symphonique pêchent par manque de kérosène. Malgré ces défauts évidents, "Evergreen" est certainement le disque le plus fréquentable de Mc Culloch depuis "Candleland". Reste que la nostalgie n'est plus vraiment ce qu'elle était.

Christophe Despaux


The Tindersticks
Curtains

Existe-t-il aujourd'hui une formation supérieure aux Tindersticks ? Beaucoup chercheront en vain, car depuis sa première apparition, la bande à Stuart Staples écrase toute la concurrence. Cela commence par un fait d'arme : en première partie d'une tournée de Nick Cave, les Tindersticks lui volent proprement la vedette. Depuis, l'histoire se poursuit, sans faute. Le grand Nick convalescent, les cadavres jonchent désormais le parcours triomphal de ce groupe, dorénavant seul maître de son destin.
"Curtains", troisième véritable album, ne révolutionne rien dans le petit monde des Tindersticks, il solutionne. Il clôt en effet une trilogie exemplaire. L'impression que l'on ressent est une émotion profonde, indéfinissable mélange d'admiration, de calme et de douce mélancolie.
"Curtains" s'ouvre par un petit clin d'Ļil : Another night in, passerelle idéale entre le précédent album et celui-ci. S'ensuit un défilé de ballades, mais le plus extraordinaire est que, sous ses dehors intimistes, "Curtains" est soutenu par tout un orchestre classique. Car toute la réussite des Tindersticks réside dans cette alchimie parfaite entre la sobriété et la retenue de cet habillage classique et l'orchestration ternaire habituelle : guitare, basse, batterie. Là où certains échouent, comme Neil Hannon sur "A short album about love", les Tindersticks réussissent à rendre discrète mais opérante cette troisième voie, pourtant source de tous les dangers.
L'on ne vous conseillera donc trop de vous plonger une nouvelle fois dans les délices de ces complaintes. Vous vous surprendrez à rêver, des milliers de feux étincelleront de toutes parts, variés de couleurs et d'éclats, les uns resplendissants d'une vive lumière, perpétuellement mobile et scintillante, d'autres brillant d'une lueur plus inquiétante.

Georges Vedeau


End of Orgy
Caramel amer

Si nous devions comparer la musique d'End of Orgy à quelque autre, nous n'y parviendrions pas. La récente compilation "Musiques de nuit" nous offre cette chance, la placer aux côtés de celles de Dead Can Dance, In The Nursery et Ryuichi Sakamoto ; au même plan, sans effet de jambe, sobrement, et c'est peut-être le plus bel honneur à faire à ce "Caramel amer", si personnel et si novateur. Toujours totalement instrumental, ce second album se place dans la parfaite continuité du premier, une source inépuisable d'ambiances et d'atmosphères qui vous transporte littéralement.
À chaque recoin, derrière chaque morceau, surgit une mélodie nouvelle, un climat chaque fois différent, toujours serein, parfois nostalgique et surtout, constamment bourré d'émotions et de sentiments. Dérive évidente ou Brune maquerelle sont quelques unes des pièces de ce puzzle qu'est "Caramel amer", extrêmement attachant, parfois enivrant, un puzzle dont chacun aurait un bout de solution, tant sont nombreux les secrets qui semblent se cacher derrière chaque morceau de ce disque particulièrement troublant.
"Caramel amer" semble prendre un plaisir pervers à se laisser découvrir, à se dévoiler à chaque écoute et ne cesse de surprendre par ses variantes, jusqu'à ses toutes dernières mesures.

Christophe Labussière