Air
Moon safari

Confirmant haut la main les espoirs portés sur eux après trois maxis de grande classe, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, les deux "frenchies" de Air, nous offrent une nouvelle interprétation de la pop façon ligne claire. Les angles sont arrondis, la démarche est chaloupée et les mélodies se révèlent toujours impeccablement fluides.
Les sceptiques n'y verront là bien sûr que de la musique pour ascenseurs, mais cela serait sans compter le supplément d'âme du groupe. Quel que soit le registre, mélancolique ou parodique, Air produit une musique féerique aux accents presque universels et parfois même insolants de facilité et de simplicité. Air, épaulé par une jeune chanteuse américaine dénommé Beth Hirsch, et avec le renfort de Jean-Jacques Perrey (le roi du moog) et de David Whitaker (qui a produit entre autres Gainsbourg, Dalcan...) se donne à coeur joie dans un festival de voix vocodées, de moogs tourbillonnants et d'embardées de violons. Le sommet de ce safari enchanteur restera le fantastique "Sexy boy", une parodie de pop song qui n'en est pas moins une excellente chanson.
Se rapprochant ainsi plus de Kraftwerk ou des Beach Boys, "Moon Safari" nous propose là une grande leçon de pop musique. Rien de moins pour un french band que l'on attendait plutôt sur des instrumentaux langoureux à souhait.

Quentin Groslier


Das Ich
Egodram

Après un live plutôt décevant ("Feuer") et une bande-son particulièrement déconcertante ("Das Innere Ich"), Das Ich est enfin de retour, augmenté d'un batteur, pour un album ayant la lourde tâche de constituer un "après" à deux disques aussi essentiels que furent "Staub" et surtout "Die Propheten". Mission accomplie, "Egodram" enfonce sans complexe ses prédécesseurs, les renvoie dans les ombres du mouvement darkwave dont ils furent l'oraison funèbre. Plus ouvert, plus rythmique, "Egodram" regorge de petites bombes propres à faire exploser les dancefloors, comme "Kindgott" ou "Destillat", mais s'offre aussi d'étonnantes récréations lorsqu'il phagocyte une rythmique trip-hop ("Blutquell") pour une lente plongée abyssale entrecoupée d'éclairs de flûte, ou lorsqu'il plagie, pour rire, le crossover version Front Line Assembly dans un Reflex impeccable. Album de la maturité, "Egodram", s'il est nettement moins univoque que les précédents opus du duo allemand, n'en porte pas moins la marque si particulière, faite de l'hybridation sans faille des orchestrations industrialo-symphoniques de Bruno Kramm et de la voix rauque et sèche de Stefan Ackermann, qui s'essaie ici à de nouveaux registres. S'il est vrai qu'il existe des disques dont on ne peut jamais se débarrasser tout à fait, dont on ne sait pas si l'on pourra un jour ne plus les définir comme des références, alors, aucun doute, tout comme "Die Propheten", "Egodram" est de ceux-là.

Jean-François Micard


Front Line Assembly
Flavour of the weak
Reclamation

Dans toute la carrière de Front Line Assembly, "Flavour of the weak" est certainement l'album que l'on aura attendu avec le plus d'appréhension. Le départ de Rhys Fulber et son remplacement par Chris Peterson pouvaient tout laisser imaginer. D'un changement d'orientation supposé, "Flavour of the weak" n'offre finalement aucune réelle surprise. Le ouf de soulagement que les premières écoutes entraînent et l'enthousiasme que procurent certains titres font malheureusement vite place à une petite déception. Ce premier album de la nouvelle formation est aussi le premier écart d'une discographie jusqu'alors particulièrement évolutive. En dix ans, FLA a toujours su intégrer ce que la musique électronique offrait de nouveau, devançant très souvent les autres. Chaque album intégrait de nouveaux sons et initiait sans cesse de nouvelles orientations. "Flavour of the weak" semble être à la fois un bilan des brillantes années de création de ces prodiges, synthèse de sons et d'ambiances familières, et la première halte d'une carrière que rien ne semblait pouvoir arrêter. Les écoutes successives laissent un goût amer, laissant craindre de ne plus jamais retrouver cette mutation terrible qu'offrait la collaboration de Bill Leeb et Rhys Fulber. Les réminiscences des albums passés résonnant souvent comme des repères désordonnés et chaotiques, déstructurant les morceaux sans cohésion. On ne jurera pas de l'avenir de ce "nouveau" FLA et l'on combinera l'écoute de ce "Flavour of the weak" à celle de la compilation "Reclamation" qui donne un aperçu d'une carrière jusqu'alors exemplaire.

Christophe Labussière


Guy Chadwick
Lazy, soft and cool

Cette chronique sera l'occasion, en deux mots, de faire rendre l'âme à cette vieille "politique des auteurs" qui pollue la presse rock, contrepèterie de "presque rose" tant il est vrai que souvent le parcours malmené de certains groupes autorise à une adhésion de principe. Qu'elle le soit cependant du bout des lèvres -nous regrettons encore d'avoir été trop clément avec le piteux dernier album des Bunnymen. On entend ainsi ici et là que le nouveau Guy Chadwick a la maturité d'un Leonard Cohen, l'aura d'un Lou Reed. Et pourquoi pas les fesses mordorées de Tina Turner, le swing de James Brown et les barbes de ZZ Top ? Comparé à la carrière en dents de scie des plus qu'estimables House of Love, "Lazy, soft and cool" vaut à peine mieux que le désastreux "Audience with the mind", c'est à dire pas grand chose. La production totalement anodine de Robin Guthrie peine à donner un quelconque relief à des compositions qui semblent attendre un réanimant violent : une steel-guitar insupportable ou les malheureux pioupioux de Liz Frazer, guest-diva de tous les mauvais plans depuis Craig Armstrong. On passera sur les tentatives rock (l'abominable You've really got a hold on me), rendons plutôt hommage aux deux chansons recensées, le gracile mais plaisant This strength et surtout Fall in love with me, une petite avalanche de douceur qui évoque irrésistiblement le Love at first sight de Stuart Moxham. On ne scellera pas la dalle mais c'est quand même un maigre butin que ce "Lazy, soft and cool". On traduira par "Facile, fade et inerte" mais vous l'aviez déjà fait de vous-même.

Christophe Despaux


High Llamas
Cold and bouncy

Sean O'Hagan est un passionné. Originaire de Cork près de Dublin, son parcours l'atteste : compagnon de route de Cathal Coughlan durant les années 80, il commença sa carrière au sein de Microdisney. Mais sa passion pour la musique pop le tiraille. Il fonde à cet effet les High Llamas et la suite est une quête impossible de son "maître à jouer" Brian Wilson. "Santa Barbara" en 1992 marque un premier acte. Impeccable recueil de chansons pop aux formats encore classiques, il démontre le talent d'écriture indéniable de Sean O'Hagan. Mais lassé des morceaux aux structures convenues, celui-ci se lance dans le conceptuel. L'année 1994 est un tournant. "Gideon Gaye" voit le jour et marque le début de sa recherche appliquée. Sean endosse alors son statut de Docteur es pop. Il entreprend l'étude systématique de la pop et pose sous nos yeux équations et théorèmes. "Hawaii" en 1996 et "Cold and bouncy" en 1998 complètent un triptyque où il fait bon se laisser bercer par des mélodies qui s'étirent à l'infini.
Petite nouveauté sur "Cold and bouncy", les harmonies pop font bon ménage avec de bizarroïdes bidouillages électroniques. Mais douceur mélodique rime toujours avec bonheur. Pourtant, Sean O'Hagan et ses High Llamas ont conscience d'avoir poussé à terme leur formule. Il leur faudra dès à présent se renouveler, sous peine de voir les convertis s'expatrier sous d'autres cieux, lassés par une formule qui perdrait de sa fraîcheur et par la même occasion, de sa magie.

Georges Vedeau


Propellerheads
Decksandrumandrocknroll

Depuis une prestation remarquée aux Transmusicales 1996, il se murmurait de ci de là que les Propellerheads pourraient bien être "the next big thing". Armé d'une série de singles de haute volée et profitant d'une démocratisation galopante de la techno, le duo quittait le rang des espoirs avant même la sortie d'un premier album, avec lequel il lui était déjà demandé de confirmer ses bonnes dispositions. Rude tache que "Decksandrumandrocknroll" accomplit sans faillir grâce à une astuce déjà éprouvée consistant à regrouper les singles ayant contribué à la réputation naissante du groupe. De fait, ce premier album est à double entrée : par la grande porte, un résumé des épisodes précédents -depuis Take California jusqu'au récent On our Majesty's secret service, en passant par l'ébouriffant Spybreak ou encore le petit dernier, History repeating, qui démarre une carrière prometteuse en FM- en tout 6 titres déjà connus, ou par l'entrée des artistes, avec une brochette de morceaux qu'il va falloir prendre le temps de découvrir. Plus groove parfois (Echo and bounce, Better?), plus intimiste ailleurs (Oh yeah?), le duo n'en oublie pourtant pas le breakbeat qui a fait sa réputation (Bang on!). Malgré tout, il semblerait que le son big beat pur et dur s'éloigne, et avec lui la facilité du genre et un écueil qui allait finir un beau jour par se présenter au groupe.
Pour cette ambivalence, "Decksandrumandrocknroll" est un grand disque, et pour son intelligence, son sens de la remise en cause et son ouverture d'esprit, Propellerheads un groupe avec lequel il faudra certainement compter.

Éric Semenzin


Salaryman
Salaryman

Malgré leurs étonnants noms de code -hdk, rgm, jev et rnv- le secret n'a pas été difficile à percer. Chacun d'eux officiait jusqu'à présent dans une formation on ne peut plus classique, Poster Children. Quelques albums, une poignée de singles et un background fidèle pour une pop musclée de très bonne facture. Mais rien ne laissait percevoir un tel virage, une telle "expérience". Car Salaryman, avant d'être un groupe, est un projet bien défini : on écarte les guitares et les instruments "classiques" et l'on se plonge dans l'électronique. Un "tout électronique" auquel ne survit que la batterie. Mais contrairement à ceux qui oublient de consulter leur manuel et appuient naïvement sur les touches pré-programmées pensant tout réinventer, ici, si l'instrument est nouveau, la composition l'est tout autant. Salaryman est un vrai paradoxe, tout est électronique mais rien ne le laisse imaginer. Ce qui se dégage de ce disque est profondément humain et bourré d'émotions. La mutation est spectaculaire et il eut été dommage qu'elle ne se produise pas.
à une époque où nos oreilles sont de plus en plus habituées aux productions instrumentales, Salaryman nous offre un savant mélange de post-rock, d'électronique et de pop aux mélodies et ambiances teintées de sonorités orientales. On se surprend à danser (New centurions), on s'imagine même chanter (Rather), pourtant, bien que la voix reste muette, l'émotion transperce.Salaryman est un des plus beaux brûlots que 97 nous ait offert. Souhaitons que ce projet troublant ne reste pas lettre morte, et que l'avenir nous offre d'autres productions du même acabit.

Christophe Labussière