Tortoise



Chicago superstar !
Grand manitou de l'expérimentation sonore, Tortoise se joue des courants musicaux. Manipulateur des sons, le groupe s'octroie chaque année de nouveaux territoires et s'impose depuis 1994 comme la plaque tournante de tous les métissages sonores : preuve à l'appui avec "TNT", troisième album essentiel et hors norme.

Que pensez-vous de l'engouement de la presse pour votre musique ; n'est-il pas légèrement excessif ?

John Herndon : En un sens, oui ; je dirais même qu'il est plutôt ennuyeux... D'un autre côté, si tout ce mouvement permet à des gens d'écouter nos disques, s'il pousse des gamins à monter des groupes, à créer quelque chose de neuf, alors tant mieux.

Les musiciens de Tortoise paraissent très libres, peu tributaires des notions de groupe, de temps, de style. Y a-t-il cependant certaines explorations, certains risques musicaux que vous n'oseriez prendre ?
En ce qui me concerne, je suis prêt à jouer de tout : jazz, funk, techno, avec n'importe qui, si cela me paraît susceptible de donner un résultat intéressant. Au niveau du groupe, en revanche, nous essayons de filtrer toutes nos influences, de nous en servir pour créer quelque chose d'inédit.

Comment se passe le processus créatif au sein de Tortoise ? Proposez-vous chacun des morceaux plus ou moins élaborés, ou travaillez-vous collectivement ?
En général, chacun apporte ses propres idées, qui sont ensuite développées collectivement. Pour un morceau comme $Djed$, par exemple, il y avait à l'origine trois thèmes distincts, pas spécialement destinés à être réunis. Par la suite, John Mc Entire et Doug Mc Combs ont repéré leurs ressemblances et ont suggéré de les assembler en une seule et longue pièce, une sorte de collage.

Comment parvenez-vous à cette cohésion, musicale et humaine, alors que vous jouez tous, par ailleurs, dans d'autres groupes ?
Pour ma part, Tortoise permet une certaine approche de la musique, tandis Isotope 127, mon autre groupe, en autorise une autre. Pour nous tous, le fait de jouer dans plusieurs groupes à la fois nous semble nécessaire et contribue à renforcer l'unité de Tortoise. Nous sommes très organisés et parvenons toujours à ne pas sacrifier un groupe aux dépens d'un autre : c'est ainsi que, pour la tournée européenne, nous avons décidé que Isotope 127 assurerait la première partie de Tortoise.

Tu es, avec Doug Mc Combs, le fondateur de Tortoise. Comment s'est déroulée votre rencontre ?
Nous nous connaissions pour avoir joué dans des groupes assez similaires, Poster Children et Eleventh Dream Day ; nous avons décidé de travailler ensemble sur des morceaux qui ne comportaient que de la basse et de la batterie. Mais selon moi, Tortoise ne débute vraiment qu'avec l'arrivée de John Mc Entire et Bundy K. Brown, qui ont participé à nos premiers enregistrements (les singles $Mosquito$ et $Lonesome sound$ -ndlr). Ils semblaient intéressés, nous leur avons demandé de se joindre à nous, et voilà !

Quel regard portez-vous sur vos premiers disques ?
Je ne réécoute jamais nos anciens disques, a fortiori après une tournée, au cours de laquelle les morceaux ont pu évoluer, car alors, toutes les faiblesses de l'enregistrement apparaissent de façon horrible (rires).

Passez-vous beaucoup de temps en studio ?
Pour le dernier album, "TNT", les maquettes ont été enregistrées de façon assez rapide et spontanée. Ensuite, tout le travail de montage et de mixage a pris beaucoup de temps, mais s'achèvait sur un consensus : quand le morceau était prêt, nous le sentions tous et nous entérinions la version qui recueillait l'unanimité. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous travaillons toujours avec John Mc Entire -et non avec des producteurs extérieurs. Nous nous comprenons vite, le son est toujours soigné. Cependant, une fois les morceaux terminés, nous aimons laisser une totale liberté à des remixeurs pour qu'ils les travaillent différemment.

Accepteriez-vous d'accompagner un interprète sur scène ?
Björk, avec plaisir, si elle le souhaite (rires).

Les pochettes de Tortoise sont plutôt elliptiques... finalement, qui joue de quel instrument ?
John Herndon : programmation / batterie / marimbas / claviers ;
Doug Mc Combs : basse / lap steel ;
Jeff Parker : guitare / claviers / vibraphone ;
Dan Bitney : percussions / batterie / claviers / basse / guitare ;
John Mc Entire : batterie / claviers / guitare ;
David Pajo : piano / guitare / basse.


Vivez-vous de votre musique et quel type de succès espérez-vous ?
Les autres en vivent, pas moi : je suis depuis dix ans serveur à mi-temps, dans le même bar, à Chicago. Compte tenu de ce qu'est le monde de la musique, des magouilles bizarres dont on peut être victime, je préfère ne pas lâcher ce job, mais je suis le seul à être aussi paranoïaque vis-à-vis du futur (rires). Quant au succès, il est évident que nous avons fort peu d'ambition commerciale et que passer sur MTV n'a jamais fait partie de nos priorités. Néanmoins, si faute de reconnaissance suffisante, Tortoise devait s'arrêter... (il bafouille), je ne sais ce que je ferais ; je pense que j'essaierais de toujours jouer, de toujours progresser, d'en savoir toujours plus, sur moi et les autres : pour moi, apprendre est le plus grand intérêt que je trouve dans la musique.




par Olivier Bickart - Georges Vedeau / Photo : Philippe Mazzoni



Ian Brown - Tortoise - Yann Tiersen - The Nits