Yann Tiersen
À mi-chemin entre ses racines classiques et ses passions rock, Yann Tiersen sculpte une musique très personnelle et intime, immédiatement séduisante et pourtant infiniment riche. À l'occasion de la sortie de son troisième album, "Le phare" -où il collabore avec Dominique A, autre chantre du minimalisme-, nous sommes allés rencontrer cet artiste bien plus à l'aise derrière ses multiples instruments que face à un micro.
Peux-tu nous résumer ton parcours ?
Non (rires) ! J'ai commencé à faire quelques bricoles au conservatoire quand j'étais petit, puis j'ai tout arrêté... pour faire du rock n'roll, parce qu'on peut boire de la bière (rires). Et puis je suis revenu tranquillement à mes petits instruments, le piano, le violon... et j'essaye de me rouler par terre avec mon violon, parce que ça fait rock (rires).
Comment s'est passée ta collaboration avec Dominique A ?
En fait, j'aime vraiment beaucoup ce qu'il fait. Je l'ai découvert en concert, puis j'ai acheté tous ses disques. De plus, mon tourneur est aussi le sien. Alors par son intermédiaire, j'ai appris que lui aussi appréciait mon travail, donc nous avons décidé de faire quelque chose en commun... et nous l'avons fait ! J'avais un morceau, Monochrome, sur lequel il a chanté, et lui avait la base musicale et les paroles d'un autre morceau, Les bras de mer, que nous avons arrangé ensemble, à la maison.Par rapport à tes précédents albums, "Le phare" comporte beaucoup de chant.Ce n'est pas vraiment délibéré, j'en avais envie. C'est venu tout seul, sans que je me pose de questions, mais bon, j'avais envie de chansons, alors nous en avons mises dans l'album. Et puis, je fonctionne toujours un peu ainsi, il y a beaucoup de mélodies dans ce que je fais, c'est donc toujours un peu des chansons, même s'il n'y a pas de paroles.
Et le fait de chanter toi-même ?
Bah, ça aussi j'en avais envie (rires).
Comment composes-tu ?
En général, je trouve une base, un truc à l'accordéon, au piano ou au violon, je l'enregistre, et après j'improvise dessus. Puis souvent, au moment de l'arrangement, la structure change, parfois la base disparaît et les choses évoluent comme ça, jusqu'au résultat final, mais je fais rarement de maquettes. J'en enregistrais jusqu'à "Rue des Cascades", mais les morceaux perdaient un peu de pêche, alors j'ai cessé.
Comment se passent tes concerts ?
Je réarrange les morceaux, j'éparpille les instruments sur la scène et je vais de l'un à l'autre. En plus, depuis les Transmusicales, j'ai conçu une mise en lumière de l'espace pour essayer d'isoler chaque moment, comme si j'allais à chaque fois dans une pièce distincte, avec une installation sur scène de neuf étagères pleines d'ampoules, qui s'appelle "Le phare", même si ça n'y ressemble pas du tout. Quand j'étais à Ouessant pour préparer l'album, je voyais un phare, et ce qui m'a frappé, est qu'il faisait plein de petites lumières qui éclairaient des détails. J'ai repris cette idée pour les concerts. En plus, "Le phare" crée des formes géométriques qui ont leur vie propre, qui fixent les instants de ce qui se déroule. En fait, j'ai adopté cette mise en lumière pour ne pas avoir à mettre d'images, pour recentrer mon travail sur quelque chose d'intime, parce que j'en avais assez que l'on vienne me voir à la fin des concerts pour me dire : "Ça me fait penser à plein d'images" ; c'est flatteur, mais quand je compose, je ne pense pas en termes d'images. Mon travail est très lié à la quotidienneté, à des petits riens...
Tu réalises beaucoup de musiques de films ou de spectacles. Comment se passe cette partie de ton travail ?
J'essaye de ne pas faire de l'illustration, mais de m'imprégner du film ou de la pièce et de travailler en parallèle. Alors forcément, avec un peu de chance, ça colle. Mais je ne veux pas faire une musique "pour" un film. Un film va me véhiculer des émotions et moi, lorsque je vais composer la musique, ce ne sera pas par rapport au film, mais par rapport à ce que j'en ai ressenti, qui peut très bien n'avoir aucun lien. C'est une façon de se réapproprier le film, de voir les points de concordance qu'il peut y avoir avec ce que tu es en train de vivre. J'ai du mal à travailler avec certains metteurs en scène parce qu'ils ne comprennent pas ce point de vue.
On te compare souvent à Michael Nyman ou Comelade. Te sens-tu des affinités ?
J'aime bien Comelade, même si je trouve que son travail n'a pas beaucoup de rapport avec ce que je fais, sauf peut-être lorsqu'il utilise des pianos jouets. Quant à Nyman, j'aimais bien ses musiques pour Peter Greenaway, mais je trouve qu'à partir de "La leçon de piano", il est devenu pompier et chiant. De toute façon, je n'écoute jamais ce genre de style. Je préfère Tortoise ou Labradford. Je fonctionne beaucoup par périodes, je peux écouter un groupe en boucle pendant un certain temps et puis m'en lasser. À part Tortoise et BŠstard, dont je ne me lasse pas. J'ai enregistré un maxi avec BŠstard. Ce sera leur dernière réalisation puisqu'ils se sont séparés depuis.
Quels sont tes projets ?
Je vais essayer de me prévoir une période de calme cet été pour commencer à travailler sur un nouvel album. J'ai envie de faire des remixes, mais si je récupère mon sampler -qui est chez un copain- je me sens capable de culpabiliser, avoir mauvaise conscience à tripatouiller mes anciens morceaux alors que je devrais être en train d'en travailler de nouveaux. À moins que je les fasse remixer par quelqu'un d'autre... En plus, comme l'album sort en vinyle, je suis très content, je vais pouvoir faire du scratch (rires).
par Jean-François Micard / Photo : Stéphane Burlot
Ian Brown - Tortoise - Yann Tiersen - The Nits